RDC : Le président Joseph Kabila arrivera-t-il à la fin de son mandat ?

1

Kabila_fils

Le scénario Burkinabé peut-il se dérouler au Congo Kinshasa…les experts du Congo, en général, doutent de cette possibilité en évoquant plusieurs arguments dont, le plus évoqué ou repris, est la différence contextuelle entre les deux pays. En ignorant, le désir mimétique[1] chez les jeunes qui pourrait servir de dynamique à l’expansion et à l’accélération de ce mouvement dans d’autres pays concernés. Ce soulèvement a envoyé un message à tous les jeunes de l’Afrique que le changement est possible. Malgré le silence des média Congolais, une réaction totalement anachronique, les dirigeants Congolais ne savent-ils pas que l’internet et les réseaux sociaux permettent l’internationalisation et le sentiment d’appartenance à une même génération et à un même continent partageant les mêmes soucis.

Tous les présidents africains animés par la tentation de prolonger le nombre de mandats présidentiels au-delà de ce que les constitutions respectives de leurs pays limitaient, avaient les yeux tournés vers le Burkina qui leur servaient de « laboratoire ». Il en était, particulièrement, du Congo Kinshasa qui avait envoyé une délégation au Burkina afin de suivre le déroulement de la modification de la constitution afin d’en tirer des leçons. Malgré les dénégations des concernés, des preuves existent et qui attestent la présence de Monsieur André Atundu, cadre de la majorité présidentielle congolaise, à Ouagadougou, le jour de l’insurrection.

Ce mouvement a réveillé la conscience des africains

Quelques parallélismes contextuels

Les deux régimes se ressemblent par rapport à quelques faits, comme la manière de l’accession au pouvoir, les deux présidents sont arrivés au pouvoir grâce aux assassinats de leurs prédécesseurs qui étaient, d’ailleurs, tous les deux leurs proches[2].

Les deux présidents,tant Kabila que Compaoré, privilégient le « silence » comme moyen de communication. Malgré des marches, des sit-in, des manifestations et des grèves depuis 2011, Compaoré ne s’est presque jamais exprimé et ne s’est presque jamais adressé à son peuple. Il partage cette similitude avec Kabila, qui, depuis 13 ans qu’il dirige le Congo, ses interviews et ses interventions concernant des drames que vivent les Congolais peuvent se compter sur quelques doigts. Ces deux présidents ne s’expriment que par contrainte. Tant Blaise Compaoré que Joseph Kabila sont dans leur tour d’ivoire, alors que le pouvoir leur échappe à petite dose.

Soulignons, également, l’extrême jeunesse[3] de la population de deux pays, en particulier celui du Burkina Faso dont on connait la contribution décisive au renversement du régime de Compaoré. En effet, on ne va jamais au combat avec des vieux.

Par rapport à la société civile, et particulièrement, l’église catholique, le parallélisme est frappant. L’arrivée à la tête de l’archevêché d’Ouagadougou du Mgr Philippe Ouédraogo en 2009 a bouleversé la relation qu’entretenaient le régime et l’église. Cet archevêque a conduit l’église à prendre ses distances[4] par rapport au pouvoir de Compaoré. Il en est de même avec la R.D.C., où le divorce entre le pouvoir de Kabila et l’église Catholique[5] est consommé depuis longtemps. Le Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, comme l’était son prédécesseur, le cardinal Frédéric Etsou Nzabi Bamungwabi, lui ont été toujours opposés, faisant de cette institution, la seule vraie opposition organisée au Congo.

Enfin, nous ne pouvons éviter de citer d’autres maux qui rongent l’Afrique et qu’on retrouve avec acuité au Congo-Kinshasa: la corruption, le népotisme, le chômage, la pauvreté, l’analphabétisme, la dictature, les violations massives des droits humains, les tricheries aux élections, des armées fragmentées, etc.

La démocratie est à la politique ce qu’est le médicament à la médecine. Si Au Burkina-Faso, on a trouvé le remède contre certains maux dont souffre l’Afrique. Pourquoi ne pas l’utiliser et pourquoi ne soignerait-il pas les mêmes souffrances ailleurs ?

En bref, le contexte est semblable et le scénario burkinabé est envisageable au Congo car les ingrédients[6] sont identiques dont celui particulièrement de la volonté de rester indéfiniment au pouvoir. Cependant, cela dépendra des recettes que proposera le régime congolais dans le menu qui sera présenté au peuple.

Utiliser de quels artifices pour rester ?

Comme contre la rébellion du M23, le président Kabila avait préconisé l’usage de trois moyens pour les combattre à savoir le politique, le diplomatique et le militaire. En fait, il peut oublier, en partie, les deux premiers, son camp politique, tout comme l’opposition d’ailleurs, étant divisés à ce sujet. En fait, la coalition des différentes couches sociales et politiques qui sera formée contre toute révision constitutionnelle et toute velléité de prolonger la durée de son mandat au-delà des textes prévus par la constitution, lui barrera certainement, la route. Cela se traduit donc par l’absence d’une cohésion ou consensus national venant en appui au premier moyen qu’il préconise.

Du point de vue diplomatique, depuis les élections chaotiques de 2011 et son élection dans des conditions douteuses à la magistrature suprême, ses habituels alliés occidentaux[7] lui ont fait savoir que toute volonté de s’accrocher au pouvoir par quels que moyens que soient, équivaudrait à un coup de force. Nous savons combien leur soutien est essentiel à son régime qui est en sursis depuis 3 ans.

Il ne reste plus que la solution militaire, dont plusieurs signaux nous annoncent qu’elle serait la clé de voute.

Le dilemme des dispositions constitutionelles verouillées

Le silence du président Kabila à se prononcer sur cette question est révélateur du trouble qui règne dans son camp. En effet, il est piégé dans un dilemme qui se décline en ceci: rester au pouvoir est injustifiable et le quitter est encore pire. C’est un dilemme qui ressemble à une équation à trois inconnus dont il ne s’extirpera que difficilement.

Premier inconnu : il annonce qu’il ne sera pas candidat en 2016, dans cette hypothèse, ce qui lui reste encore comme autorité s’évaporera comme une fumée face à l’opposition. En outre, il existe une crainte de coup d’état de la part de ses propres militaires, et une défection de la majorité de son camp politique. Dans cette condition, la probabilité de terminer son mandat, en 2016, semble incertaine et tumultueuse.

Deuxième inconnu : Kabila s’entête dans sa volonté de modifier l’article 220 de la constitution (qui fixe à deux le nombre maximum de mandats présidentiels) , et le proclame, en ignorant l’exemple du Burkina Faso, il plonge le pays dans une période d’instabilité dont l’issue est encore sombre. Ce bras de fer le conduira vers l’inconnu où toutes les éventualités sont prévisibles. En R.D.C., l’exemple burkinabé a refroidi, pour longtemps, les partisans de cette option dans leur cabale de modifier l’article 220 de la constitution. Tout indique que le rapport de la délégation dépêchée à Ouagadougou par la majorité présidentielle ne recommandera pas le contraire.

Troisième inconnu : il n’exprime ni le désir de partir ni celui de rester. Tout comme Compaoré, le silence reste le moyen de communication préféré du Raïs. Toutefois, il autorise ses collaborateurs de s’exprimer à sa place, ceux du parlement, en se servant de la constitutionnalité[8] tandis que les membres du gouvernement[9] ainsi que des personnalités de sa famille politique[10], sont chargés de révéler en des termes plus ou moins clairs son intention d’aller au-delà de 2016. En bref, cette troisième voie constitue, tactiquement, la solution la plus optimale. Elle démontre la volonté de prolonger la durée de son mandat au-delà de la limite prévue par la constitution, en entretenant le flou, la confusion et la cacophonie, en usant des argumentations fallacieuses à l’appui dont par exemple, le manque des moyens pour organiser les élections dans le délai légal, le retard dans le recensement, la création à dessein de nouveaux groupes armés pour déstabiliser, l’entretien des troubles politiques en attisant des mouvements sécessionnistes[11], fomenter le banditisme et le terrorisme urbain, etc. Le choix de cette option reviendrait à ouvrir la boite de pandore, car il générerait des situations aux conséquences désastreuses. Notamment, si le régime joue la carte de la création de mouvements insurrectionnels, l’expérience nous apprend que le diable se rebelle, généralement, contre son créateur[12].

La tentation de jouer la prolongation comme le président Laurent Gbagbo l’a faite entre 2005 et 2011, est séduisante. En fait, elle constitue l’hypothèse la plus admissible politiquement et diplomatiquement selon le pouvoir. En se justifiant par rapport au délai de mettre en place un office pour l’identification et le recensement de la population[13] et en ralentissant le travail de la CENI en la privant des moyens d’organiser les élections. D’où l’impossibilité de la CENI de publier le calendrier complet de toutes les élections et de les organiser dans les délais légaux faute des moyens financiers et du recensement complet de la population. Dans cette hypothèse, la plus facile, et non moins risquée est celle du recours à l’instrumentalisation militaire[14] et de la violence comme moyens comme appui à la politique. En fait, jusqu’à présent celle-ci semble si bien lui réussir. Cependant, il ne doit pas oublier que dans la violence, tout le monde finit par se ressembler. L’usage de la violence comme outil politique est intenable à long terme car il conduirait à l’embrasement généralisé, tous les mouvements insurrectionnels réels ou créés pour le besoin de la cause y trouveraient une occasion d’invoquer l’article 64 de la constitution[15] et de s’engouffrer dans cette brèche pour justifier toutes les atrocités. Si par malheur, le régime devient encore plus répressif et que le nombre des victimes de la répression augmente, dans ce cas, il va s’exposer aux sanctions internationales voire aux poursuites de certains de ses membres devant la cour pénale internationale[16]. Toutefois, ils doivent savoir ceci : (quel que soit le niveau de la sophistication des moyens répressifs (armée, police, renseignements) d’un régime, il finit toujours par s’écrouler.

En réalité, Kabila tablera sur l’usage pondéré[17], un mixage du politique, du militaire[18] et de la diplomatie[19]selon les circonstances, pour la prolongation de la durée de son dernier mandat avec tous les dangers du dérapage que cela comporte.

A notre avis, il s’inspirera du modèle Gbagbo qui est parvenu à rester à la tête de la Côte d’Ivoire presque un mandat supplémentaire sans être élu. Cependant, cette référence est un pari audacieux car les forces de l’ONU ainsi que la France avaient une attitude attentiste[20], la Côte d’Ivoire était divisée, militairement, en deux parties. Prendre partie ouvertement pour un camp ne valait plus la peine, car il y avait un gouvernement d’union nationale, dirigé par Guillaume SORO, en outre, Gbagbo jouissait d’une certaine popularité et il parvenait à contrôler l’appareil de l’Etat, c.-à-d., de la compétence à gérer. Cette considération n’est pas le cas de la MONUSCO[21] qui a pris ses distances par rapport au régime, du moins, sur le point de la modification de l’article 220 de la constitution.

En optant pour l’hypothèse Ivoirienne, la fin du régime Kabila ressemblerait à la combinaison du triple scénario du renversement de Compaoré, de Gbagbo et de Mobutu, c’est-à-dire d’une manière politique comme le premier et militaire comme les seconds cas[22].

Les éléments déclencheurs

Les incidents « étincelles », parfois des faits divers et insignifiants, qui ont provoqué l’embrasement et la déstabilisation des régimes se sont, habituellement, déroulés loin des capitales. Tenons à l’œil, les événements dans le Kivu et au Katanga. Souvent la capitale est le dernier verrou, la prise de celle- ci ressemble au dernier souffle d’un agonisant. Un régime ne disparait que par la prise de la capitale, siège des institutions. Cela explique la concentration des moyens que dispose le pouvoir. La chute des pouvoirs, par exemple, en Tunisie[23], Libye[24] , Syrie[25], Roumanie[26], le Burkina[27], etc.

En effet, le statu quo que Kabila veut imposer pourrait s’avérer intenable et périlleux. Depuis les élections de 2011, il ne parvient pas à gouverner, malgré le cumul et le contrôle de tous les pouvoirs et de toutes les institutions de l’Etat, une majorité parlementaire, tous les gouverneurs sont de son obédience, et même la justice. D’où la solution de l’accord cadre d’Addis-Abeba[28] qui lui impose, de facto, la mise sous tutelle de Congo Kinshasa. Cette situation illustre son illégitimité. Car n’étant plus à mesure de garantir la stabilité des institutions malgré le contrôle de tous les instruments de l’état grâce aux nominations de ses affidés à la tête de tous les postes. Cet accord cadre d’Addis-Abeba vecteur de la mise sous tutelle, le rend plus vulnérable que ne l’était Compaoré[29]. Ce dernier était considéré comme un élément stabilisateur dans le Sahel, région en proie à l’expansion djihadiste[30], nouvelle menace pour l’occident. Quiconque connait l’importance que donnent les occidentaux à cette menace, n’hésiteraient pas à conclure qu’aucun président africain ne peut plus se prétendre d’un soutien indéfectible des occidentaux, en l’absence de la légitimité et du respect des cadres légaux.

Tenant compte de tous ses échecs, Monsieur Kabila essaierait de propulser un membre de sa majorité politique. Le profil serait un politique qui s’est prononcé contre la révision constitutionnelle mais qui lui est demeuré fidèle. Tenant compte de ces critères, Pierre Lumbi, le président du MSR ainsi que son conseiller, correspond au profil du candidat.

Les forces en place, peuvent-elles compter l’armée ?

Les FARDC sont une armée fragmentée et faible[31], constituée de milices répondant à d’autres considérations et à d’autres critères que militaires. Toutefois, le président Kabila peut compter sur sa Garde républicaine dont il vient de restructurer le commandement et de renforcer par une nouvelle dotation en armement. Depuis quelques années, nous constatons que la Garde républicaine est déployée en première ligne contre tous les événements se déroulant à Kinshasa[32], en lieu et à la place de la Police nationale. Et A cet égard, les milices ont souvent, montré, leurs limites à préserver un pouvoir de l’écroulement (cas des Interhamwe et FDLR au Rwanda). Il n’y a que les forces armées à caractère républicain qui sont capables de défendre un Etat et ses institutions, malheureusement, elles sont impuissantes à sauver un homme et son régime. Sun Tzu disait qu’il est plus avantageux de manœuvrer avec une bonne armée qu’avec un corps éparpillé et indiscipliné. Or la garde républicaine, ressemble aujourd’hui à s’y méprendre à la défunte DSP de Mobutu. D’ailleurs, plusieurs officiers de cette garde prétorienne ont menacé récemment de démettre Kabila.

Les mercenaires Rwando-Ougando-Tanzaniens sur lesquels le régime Kabila compte pour se maintenir au pouvoir constituent également une option téméraire et moins efficace. Qu’il se souvienne de l’échec patent des rwandais en 1998 devant la porte de Kinshasa. Car tous les penseurs des questions stratégiques militaires et l’histoire nous apprennent qu’une armée quelle que soit sa puissance ne peut résister ou évoluer avec succès dans un milieu hostile (récemment les Etats-Unis en Irak). Par ailleurs, l’utilisation des mercenaires n’augure rien de convenable et durable car sans soutien populaire, une guerre est perdue. On l’a vu avec les F.A.Z. (Forces Armées Zaïroises) houspillées par la population. Celui qui s’engage dans une guerre, s’engage à exposer sa vie. On s’engage dans une guerre et on accepte de mourir ou de verser son sang pour la patrie et les institutions républicaines de son pays parce qu’on aime son pays et le pays (ou la patrie) est devenu une valeur sacrée. Pour quelle cause sacrée les mercenaires rwando-ougando-tanzaniens sacrifieront-ils leurs vies?

Certes, nous n’ignorons pas les inquiétudes du président Kagamé qui connait, pertinemment bien, que la chute de Joseph Kabila le mettrait lui, ainsi que son régime, en très grande difficulté.

Que ferait la MONUSCO[33] si la situation sécuritaire et des droits de l’homme se dégradent? Compte tenu des expériences passées, nous doutons de son intervention quand la soldatesque en arriverait à tirer sur la population. Le cas le plus flagrant étant son immobilisme durant les journées précédant les élections présidentielles de novembre 2011, face à la Garde républicaine. La MONUSCO a contemplé cette milice[34] en train de massacrer allègrement la population kinoise en pleine journée et devant les caméras des journalistes du monde entier. Certes, il existe un rapport[35] mais on aurait évité de le rédiger si les forces des Nations Unies avaient été actives et fermes.

Enfin, que demandaient les Burkinabé? Et qu’exige le peuple Congolais? La réponse est simple et claire : Pas de mandat au-delà de la limite constitutionnelle.

Qu’on se le dise, le Burkina et le Congo Kinshasa sont similaires. Le fait d’envoyer des personnes pour suivre le déroulement de la modification de la constitution à Ouagadougou n’est pas anodin. L’échec de Compaoré a obligé le pouvoir à Kinshasa à revoir sa stratégie. Toutefois, celle-ci est vaine, sans un engagement clair de la part du président de quitter le pouvoir en 2016, le Congo-Kinshasa rentrera dans une zone de turbulence où l’issue sera fatale. Car toutes les hypothèses citées ci-dessus sont conflictuelles.

Jérôme Kengawe Ziambi / Exclusivité DESC

Source : http://desc-wondo.org/

1 COMMENT

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here